Jour 3 – Dimanche 16 février 2025.
Depuis ma séparation, ça me prend sans prévenir, en traître. Un contexte un peu inconfortable, genre plus de place assise pour moi car je suis en retard, dans une foule où les personnes se connaissent, prennent plaisir à discuter ensemble et où je ne connais presque personne. Bref un contexte où je ne trouve pas ma place, où je me sens seule, pour ne pas dire isolée.
Jusque-là je gère : je m’efforce de faire bonne figure et d’apprécier ce qui se passe autour de moi. Un sourire engageant sur le visage, pour ne pas décourager les bonnes volontés à venir me parler. A l’intérieur de moi, j’ai hâte de partir alors que le temps s’étire, interminable.
Si l’ambiance est musicale, le danger devient réel. Et au fil de mes expériences, l’appréhension grandit.
La première fois, la chanson « Blue » de Faouzia – que je ne connaissais pas – m’a laissée complètement démunie, en larmes. Par chance, la pièce était dans le noir, tout le monde regardait ce qui se passait sur scène. Je n’ai pas cherché à sortir. J’ai laissé couler, littéralement, espérant que des airs plus gais me permettraient de reprendre une contenance avant de retrouver la lumière.
Avant, ces « attaques de tristesse » m’arrivaient au cinéma, lorsque la scène était émouvante. Je n’étais sans doute pas la seule à vivre ça, donc je me sentais moins gênée. Evidemment, ça n’a pas changé. Le cinéma reste un lieu à risque, mais la pénombre et la possible présence d’autres sensibles dans la salle rendent mes larmes moins gênantes.
Hier soir, le même contexte inconfortable de départ. Mais cette fois la salle est dans une semi-pénombre et les regards se croisent : impossible de miser sur l’obscurité ou d’échapper à l’attention. Je commence à me sentir comme au milieu d’un champ de mines.
Plusieurs chansons passent, des romantiques, des humoristiques-mais-pas-que. Jusqu’ici tout va bien. Intérieurement, je suis déjà en train de chercher une excuse pour m’autoriser à partir avant la fin.
Un groupe se met en place et attaque « Knock on heaven’s door », version Guns n’ Roses. Je respire, un peu rassurée. La chanson n’est pas triste et n’est associée à aucun souvenir particulier. Finalement, je vais peut-être réussir à apprécier cette soirée jusqu’au bout.
Vers le milieu de la chanson, les mots heaven’s door du couplet provoquent l’apparition d’une pensée : « Heaven’s door, la porte derrière laquelle je suis restée bloquée : accès refusé ».
Et c’est cette pensée qui déclenche une première vague. Je résiste, ravale mes larmes, et me décide à gagner la sortie.
Une personne m’arrête « Tu veux une chaise pour t’assoir avec nous ? »
J’hésite, j’aurais apprécié, vraiment. La chanson se termine et je suis plongée dans un calcul de probabilité lorsque j’entends le groupe commencer à jouer « Back to black » de Amy Winehouse.
Je lâche un « Non, merci. Je vais y aller » et je me sauve comme une voleuse.
Objectif : être dehors avant les larmes. La mine vient d’exploser.
Par chance elle n’est qu’émotionnelle. Physiquement je suis entière. Moralement, c’est une autre histoire.
Je pleure dans ma voiture. Les vagues se succèdent, ça ne passera pas comme ça. Je décide de rentrer chez moi. Je n’ai pas dit au revoir. Je vais passer pour sauvage et impolie. Tant pis.
Mais, comme le chante si bien Faouzia, que suis-je censée faire quand tout est bleu en moi ?
Laisser couler…